Un professeur de musique se moque de la chanson d'un élève immigré et l'entend plus tard à la radio - Histoire du jour

Après avoir éviscéré la chanson courageusement composée par Shahnaz à l'académie de musique, son professeur, M. Brooks, n'a même pas pris la peine de l'aider à s'améliorer en vue d'un concours à l'échelle nationale. Mais il a vite compris que sous-estimer la talentueuse étudiante immigrée en piano était une mauvaise idée.

"Les gars, n'oubliez pas. Ce concours est extrêmement exclusif. Seules quelques sélections parviendront au tour final avec les juges", a expliqué la directrice de l'académie de musique, Mme Palomino. "Mais j'espère que vous ferez tout de votre mieux pour que notre académie se distingue !"

La directrice parlait d'un concours national organisé par plusieurs organisations musicales du pays. Quelques-uns des meilleurs musiciens de leur État servaient de juges pour les sélections. Participer à ce concours était déjà un honneur prestigieux, mais le gagnant recevait un prix en argent et avait la possibilité d'obtenir une bourse d'études dans l'un des meilleurs programmes musicaux du pays.

Tout le monde voulait participer pour différentes raisons. Mais l'idée principale était de débuter dans l'industrie. La directrice de la petite académie de musique de leur petite ville a encouragé tous ses élèves à participer, même si les chances d'être acceptées étaient faibles.

"N'oubliez pas qu'il est très important de se faire connaître. Bonne chance à tous !", termina Mme Palomino. Tous les enseignants composaient également de la musique pour participer au concours. Il n'y avait pas de limites d'âge ni d'exigences. Ils vous encourageaient simplement à maîtriser un instrument ou à chanter.

Même si les enseignants de l'académie participaient au concours, ils étaient censés se concentrer sur l'aide à apporter à chaque élève. La musique est un domaine compétitif, mais les adultes font de leur mieux pour inspirer les enfants. Enfin, presque tous les adultes...

Shahnaz, la nouvelle élève issue d'une famille persane immigrée aux États-Unis depuis deux ans seulement, a pris à cœur les paroles du directeur et a mis toute son âme dans une composition. Elle voulait faire ses preuves. Elle avait appris à jouer du piano en Iran, mais ses parents l'ont inscrite dans une classe pour qu'elle puisse se faire des amis et perfectionner son anglais qui était déjà correct.

Tous les enfants étaient censés présenter leurs compositions aux professeurs de leur niveau respectif, qui leur donnaient ensuite des suggestions pour les peaufiner et les améliorer. Cependant, Shahnaz était dans la classe de M. Brooks, et bien qu'il soit un bon pianiste, c'était aussi un homme imbu de sa personne qui semblait regarder tout le monde de haut, à l'exception de quelques élèves.

Il n'avait jamais grand-chose à dire à Shahnaz, si ce n'est des commentaires sur son accent, mais cela ne l'empêchait pas de vouloir l'impressionner. C'était M. Brooks qui décidait si elle montait de niveau à l'académie, et elle respectait ses compétences et ce qu'il pouvait lui apprendre.

La jeune étudiante savait que tous les professeurs avaient des favoris, et certains le montraient de manière plus évidente que d'autres, mais M. Brooks semblait aussi avoir des préjugés contre... des personnes différentes. Elle espérait que sa composition briserait enfin la glace entre eux.

"OK", dit M. Brooks pendant l'un de ses cours. "C'est l'heure de la chanson de Shayne."

Il prononçait toujours son nom de travers, mais Shahnaz le corrigeait à chaque fois. "C'est Shahnaz, M. Brooks", dit-elle avec son accent.

"Ah, bien sûr. Oui, bien sûr", a répondu M. Brooks. "Nous sommes des Américains. Nous avons tendance à mal prononcer les mots étrangers. Maintenant, vas-y, joue." Il claqua des doigts avec impatience.

Shahnaz s'est assise sur le piano et a commencé à bouger ses doigts habilement. Une fois sa composition terminée, elle s'était entraînée sans relâche et pouvait presque la jouer par cœur. De plus, elle avait ajouté des paroles, un magnifique poème sur le fait d'être nouveau dans un endroit différent et sur la façon dont elle espérait que la vie deviendrait plus facile.

La chanson est terminée avant qu'elle ne s'en rende compte, et ses yeux s'illuminèrent à la vue des visages de ses camarades de classe. Il était clair qu'ils l'avaient aimée et qu'ils étaient impressionnés, mais finalement, Shahnaz a regardé M. Brooks, qui a poussé un soupir dramatique.

"Shayne, tu n'es pas censée chanter. Ce n'est pas American Idol", s'est-il ri à lui-même en se levant. "Les juges de ce concours ne vont pas s'intéresser à tes paroles - si tant est qu'ils les comprennent - ils ne s'intéresseront qu'à la composition, et franchement, tu as fait beaucoup d'erreurs. En gros, c'est du grand n'importe quoi."

"Mais M. Brooks..."

"Quoi ? Tu n'es pas d'accord ? Bien sûr que oui. Mais la vérité, mon enfant, c'est que tout le monde ne peut pas jouer du piano. Ce n'est pas parce que tu connais quelques notes et que tu saisj ouer de la musique que tu deviendras un grand musicien", poursuivi le professeur.

Les joues de Shahnaz rougissèrent, tandis que Paula s'esclaffa aux paroles de son professeur. Le reste de la classe murmurait avec inquiétude. Elle savait que c'était parce qu'ils pensaient tous qu'elle était bonne.

"Mais vous pouvez m'aider, M. Brooks", insista Shahnaz en fronçant les sourcils. "Où ai-je fait une erreur ? Que changeriez-vous ?"

M. Brooks ricanant d'un air moqueur et condescendant. "Oh, mon enfant. Nous n'avons pas le temps de corriger toutes les erreurs. Cela fait un an que tu es dans cette académie. Tu devrais avoir un meilleur sens du piano. Mais tout le monde ne peut pas être un enfant prodige comme je l'ai été", soupira-t-il à nouveau de façon dramatique.

Shahnaz regarda autour d'elle la confusion qui régnait dans la classe, mais personne ne prit la parole pour la défendre.

Un nouveau soupir de M. Brooks ramena les yeux de la jeune femme sur lui. "Je suppose que je vais ramener vos partitions à la maison et les réparer", ajouta-t-il en la saluant et en la congédiant. Le professeur s’est retourné alors et a commencé à applaudir avec enthousiasme. "Maintenant, écoutons quelqu'un d'autre. Oh, la chanson de ma chère Paula. S'il te plaît, viens ici et nettoie mes oreilles avec ton talent."

En fronçant le nez, M. Brooks éloigna Shahnaz du piano tandis que Paula se leva de son siège pour prendre son tour. Bien que l'étudiante immigrée ait essayé de l'ignorer, elle a vu le sourire en coin et le regard supérieur de sa camarade pianiste, l'une des préférées de la classe.

D'habitude, Shahnaz acceptait les critiques et s'asseyait pour y réfléchir. Mais cette situation ne lui convenait pas du tout. Son travail n'a fait l'objet d'aucun commentaire ni d'aucune critique, mais de pures moqueries et de racisme pur et simple. M. Brooks était censé l'aider, mais au lieu de cela, il s'est moqué d'elle devant la classe.

L'espace d'une seconde, elle a pensé à l'interpeller elle-même. Mais aurait-elle le soutien des autres ? Shahnaz n'en était pas si sûre. Bien que les émissions de télévision et les films américains modernes aimaient montrer des adolescents forts qui s'élèvaient contre les injustices et les comportements problématiques des autres, elle savait que ce n'était pas du tout la réalité.

La plupart des gens restaient silencieux. De plus, Shahnaz ne pouvait pas parler, car sa mère, Roya, aurait détesté cela. La femme âgée ne croyait pas qu'il fallait faire bouger les choses.

"Shahnaz", elle pouvait presque entendre l'avertissement habituel de sa mère. "Nous sommes nouveaux ici. Les Américains ne nous aiment déjà pas. Ils pensent aussi que nous sommes des terroristes. Nous ne mangeons pas la même chose et nous parlons un drôle d'anglais. Cela nous rend différents. Ils n'aiment pas la différence."

"Ce n'est pas vrai, maman", avait rétorqué Shahnaz à plusieurs reprises. "Les temps ont changé. Les gens peuvent défendre ce qui est juste. Nous devons parler pour mettre fin au racisme et à la xénophobie. Sinon, cela continuera."

Roya l'avertit d'un doigt. "Ne fais pas d'histoires. Ni à l'école, ni au cours de piano. Maintenant, mange, mange", grondat-elle gentiment à l'époque. "Ton Ghormesabzi commence à refroidir."

Shahnaz avait toujours laissé passer cela parce que sa mère ne comprenait pas. Elle pensait que le fait d'être dans ce pays était déjà suffisant. Mais ici, je dois me faire une place. Personne ne le fera pour moi parce qu'ils pensent déjà que je ne suis pas à ma place.

Malheureusement, la chanson de Paula a commencé et Shahnaz n'a plus eu l'occasion d'interpeller M. Brooks. Elle est restée silencieuse pendant le reste du cours, écoutant attentivement les commentaires de M. Brooks sur les autres élèves. Elle sentait presque la vapeur sortir de ses oreilles à chaque fois qu'il faisait des suggestions utiles.

Il aurait pu m'en faire aussi.

Cela n'avait pas d'importance. Elle notait tout, absorbait et observait. Après la classe, quelqu'un lui a tapé sur l'épaule. C'était Fred, un autre des élèves préférés de M. Brooks, qui n'avait reçu que des éloges de sa part pour sa composition.

"Hé, Shahnaz", prononça-t-il lentement et attentivement, comme s'il ne voulait pas se tromper. "J'ai adoré ta chanson.”

"Vraiment ?", demanda-t-elle, les sourcils froncés.

"Oui, c'était incroyable, et les paroles étaient brillantes", continua Fred, fronçant momentanément les sourcils. "N'écoute pas M. Brooks. Je pense que tu as juste besoin de peaufiner quelques détails, mais ta chanson devrait être écoutée telle quelle. M. Brooks semble avoir un parti pris contre toi, alors ne fais pas attention à lui."

Shahnaz a exprimé ce que Fred ne voulait pas dire : "Il est raciste."

Il blanchit un peu mais souleva un coin de sa bouche et acquiesça. "Oui, mais l'académie ne fera rien contre lui. Ils ne le vireront pas parce qu'il a gagné des prix il y a des années. C'était un 'enfant prodige' ou quelque chose comme ça. Quoi qu'il en soit, l'année prochaine, nous aurons Mme Schulz, la meilleure enseignante de la ville. Tu n'as qu'à t'accrocher", dit-il.

"Tu penses qu'il va approuver le fait d'être envoyé au niveau supérieur ?"

Les sourcils de Fred se froncèrent davantage. "Je ne vois pas pourquoi il ne le ferait pas. Il ne veut pas de toi ici ", commença-t-il, l'air pensif. "Je pense qu'il y a plus que du racisme ici. Il est peut-être jaloux de toi."

"De moi ?", s'étrangla Shahnaz. "Je ne suis pas un enfant prodige."

"Je n'en suis pas sûr. Mais il y a quelque chose dans son attitude qui me rebute."

"Tu es l'un de ses préférés."

"Je sais", acquiesça Fred, qui a l'air d'avoir sucé un citron très acide. "Je déteste ça. Ça me donne la chair de poule."

Shahnaz rit de bon cœur, ce qui fait à nouveau plisser les coins de la bouche de Fred. Bientôt, il s'esclaffa à son tour. Lorsque leurs rires se sont calmés, elle s'est demandée : "As-tu des commentaires à faire sur ma chanson ?"

"Oh, eh bien, pas grand-chose", dit Fred, souriant en expliquant ses pensées. Ils sont entrés dans le jargon musical, et il parlait vite. Pourtant, Shahnaz suivait facilement, réalisant avec plaisir qu'elle était devenue très douée pour comprendre même les anglophones les plus rapides.

"Merci beaucoup", lui dit-elle en griffonnant furieusement sur sa feuille de notes. Puis elle a levé les yeux et a souri à l'autre adolescent.

Fred semblait avoir du mal à dire autre chose et, pendant une seconde, Shahnaz a cru qu'il rougissait. Mais il a secoué la tête brusquement et a dit : "Oui, pas de problème". Puis il a fait un signe de la main et s'est éloigné.

Le concours ayant lieu dans un mois, Shahnaz a fait tout ce que Fred lui a suggéré et a demandé à d'autres camarades de classe ce qu'ils en pensaient. Elle a également suivi les suggestions de M. Brooks pour les autres enfants. Ce qu'elle n'a jamais fait, c'est lui laisser ses partitions.

Shahnaz savait que sa méthode de "réparation" n'aboutirait qu'à de nouvelles insultes. Il pourrait même écrire un tout nouveau texte. Quoi qu'il en soit, ses camarades de classe avaient de bonnes choses à dire sur son travail et n'avaient que quelques suggestions à ajouter. Enfin, la date limite de remise des travaux est arrivée.

Heureusement, Shahnaz avait une amie proche, Sarah, la fille de leurs voisins, qui a décidé de l'aider à enregistrer et à télécharger tout ce qui était nécessaire pour le concours. Elles ont consacré plusieurs jours à cette tâche et ont terminé tard dans la nuit après avoir cliqué sur "envoyer".

"Bonne chance !", "Bonne chance !", dit Sarah en faisant un signe de la main, ramenant à la maison un Tupperware rempli de baklava de Roya.

***

Il a fallu deux mois pour que les résultats de la sélection soient connus, et la directrice a de nouveau conseillé à tout le monde de ne pas se décourager parce qu'il n'y avait pas beaucoup de places disponibles pour le spectacle. Mais ce soir-là, Sarah était venue chez Shahnaz et elles ont actualisé le site web un million de fois avant que la liste ne soit publiée.

"AHHHHH !!!, cria Sarah cria en sautant dans la chambre de Shahnaz, attirant l'attention de la famille.

Mais l'étudiante en piano est restée bouche bée devant son ordinateur. "C'est impossible", dit-elle à son amie, tout en remarquant que ses parents se précipitèrent dans la chambre.

"Tu es séléctionnée ?", demanda son père en farsi.

"Oui, papa !", répondit-elle.

Sa mère a commencé à prier et a appelé son frère, Amir, pour qu'il fête l'événement avec eux. La musique a commencé rapidement et son père s'est mis à danser, montrant à Sarah et au reste de la famille ses "grands mouvements".

Le lendemain, une grande fête a eu lieu à l'académie de musique. Mme Palomino a placé un panneau "Félicitations, Shahnaz !" à l'entrée, et tout le monde a applaudi lorsqu'elle est entrée. "Tu es incroyable, Shahnaz !", ont crié de nombreuses personnes, bien que seules quelques-unes d'entre elles aient bien prononcé son nom.

Mme Palomino l'a complimentée, révélant qu'elle était la seule sélectionnée de leur ville. Shahnaz n'avait pas vu tous les autres noms dans toute l'agitation qui régnait dans sa maison. Le fait qu'elle soit la seule de toute l'école à recevoir un tel honneur était choquant.

Bien sûr, Mme Palomino a commencé à faire un discours sur l'inspiration des jeunes musiciens, mais les yeux de Shahnaz ont remarqué Fred qui souriait et applaudissait dans un coin.

Il était tout aussi talentueux qu'elle - plus encore selon M. Brooks - mais son bonheur touchait quelque chose dans son cœur. Paula avait un regard amer, mais elle faisait semblant d'être polie. Enfin, Mme Palomino finit de parler et dit à tout le monde d'aller commencer leurs coours.

Les élèves sont entrés lentement dans leur salle. La dernière personne à entrer était M. Brooks, qui refusait de la regarder. Cela semblait délibéré.

"M. Brooks, l'un de vos élèves a participé au concours", dit Fred à l'improviste. "Vous n'êtes pas fier ? Vous n'allez rien dire ? Vous devriez vous réjouir. Après tout, vous l'avez aidée comme vous l'avez fait pour nous tous. N'est-ce pas ?" Le sarcasme était bien présent.

Le visage de M. Brooks semblait devenir vert, mais il se racla la gorge et commença le cours sans dire un mot à Shahnaz. Tous les autres enfants, à l'exception de Paula, roulèrent des yeux en classe, sachant qu'il était juste jaloux.

Ce doit être terrible d'être un adulte aussi amer, a pensé Shahnaz à voix basse, mais elle a continué d'écouter son cours. Elle venait d'être sélectionnée pour se produire. Il y avait encore le concours à affronter, et tout conseil pouvait l'aider, même si elle ne pouvait pas changer la chanson.

***

Le jour du concours arriva, et sa famille, Sarah, la plupart des enfants de l'académie de musique, et tant d'autres personnes étaient là. M. Brooks ne s'était pas décongelé après sa sélection, même lorsqu'elle essayait de lui poser des questions. Il se contentait de souffler, de répondre sèchement et d'essayer de passer à autre chose. C'était puéril et terrible, car elle savait qu'il aurait été ravi si Paula ou Fred avaient été choisis.

"M. Brooks", dit Shahnaz en l'empêchant de quitter la salle de piano la veille de la représentation. "Ai-je fait quelque chose qui vous a offensé ? Pourquoi ne m'aidez-vous pas comme vous avez aidé les autres ?"

M. Brooks a tressailli, presque imperceptible, mais elle l'a remarqué. "Pourquoi as-tu besoin de mon aide ? Tu as été sélectionné par toi-même", répondit-il en redressant délicatement les épaules.

"Cela ne veut pas dire que je n'ai plus rien à apprendre de professeurs comme vous", répondit Shahnaz en secouant la tête. "Je veux être la meilleure possible, mais je ne peux pas le faire si mon professeur refuse de m'enseigner."

"C'est moi qui t'enseigne. Tu es dans ma classe."

"Vous savez ce que je veux dire". Elle croisa les bras. "Vous répondez à peine à mes questions. Vous êtes impatient quand je parle et vous détournez le regard quand c'est mon tour de jouer du piano. Qu'est-ce que vous détestez ? Que je sois étrangère ou que je batte vos élèves préférés ?"

Les yeux de M. Brooks la regardèrent dangereusement. "Ne t'habitue pas à cela. Cela va s'estomper, et bientôt, personne ne connaîtra ton nom." Sur cette déclaration inquiétante, son professeur s'éloigna.

Shahnaz poussa un soupir de frustration. Il n'avait pas répondu à ses questions. Elle avait toujours dit qu'il était amer et jaloux. Mais il n'était pas logique que tout cela soit dirigé contre elle. M. Brooks n'était pas très chaleureux avec les autres élèves, à part Paula et Fred. Mais il ne les évitait pas de façon flagrante.

Était-il mécontent que sa propre candidature au concours ne lui ait pas permis d'être sélectionné ? Si Fred ou Paula avaient été choisis au détriment de Shahnaz et de lui, serait-il toujours aussi en colère ? Elle ne connaissait pas les réponses et ne les connaîtrait peut-être jamais. Néanmoins, elle décida de lui envoyer une invitation spéciale pour le spectacle. Shahnaz espérait qu'il viendrait parce qu'elle avait quelque chose à dire.

Après des heures d'attente, les nerfs à fleur de peau et sa mère fustigeant ses vêtements, Shahnaz est appelée sur scène et se voyait confier le micro pour une seconde.

"J'ai écrit cette chanson pour ma famille, qui a déménagé ici pour me donner une vie meilleure", a commencé Shahnaz. "Mais je l'ai aussi écrite pour les gens qui ne nous voient pas, comme mon professeur de piano, M. Brooks. Les gens comme lui voient notre peau et nous rejettent. Certains ont peur de nous. Mais nous ne représentons pas le gouvernement de notre pays ou les actions terroristes de certains groupes. Nous ne sommes pas tous pareils. Nous sommes ici parce que nous voulons vivre le rêve américain."

Shahnaz s'est arrêtée un instant pour regarder les visages fiers de ses parents, qui avaient travaillé si dur pour s'installer dans ce pays pour elle et Amir.

"Je sais que je ne peux pas changer la façon dont ils nous voient avec une chanson, mais c'est un début. Vous ne pouvez pas éteindre notre lumière avec de l'amertume, car nous nous relèverons toujours, sachant que notre bonté, notre talent et notre force prévaudront toujours. Nous connaissons mieux la lutte que la plupart des gens. Nous avons vu une véritable tyrannie détruire ce que nous aimons vraiment", poursuivit-elle, de plus en plus fervente et passionnée à chaque mot. "Nous avons ri et aimé face à la tristesse la plus inimaginable parce que nous pouvons voir la beauté de l'espoir et de la vie."

Un petit hululement a résonné dans le public et Shahnaz a souri, essayant de ne pas pleurer.

"Nous continuerons à survivre, à écrire des chansons et à jouer de la musique, de sorte que nous nous souviendrons toujours de notre lutte et que nous comprendrons le chemin parcouru. Cette chanson parle de la transformation de la survie en une belle vie. J'espère qu'elle vous plaira et qu'elle vous inspirera", conclut-elle en remettant le micro dans son support et en s'asseyant au piano.

Le public applaudit et hué sauvagement, mais s'est tu lorsque Shahnaz a commencé. Sa mélodie, d'abord triste, s'est intensifiée jusqu'à ce que l'auditorium soit rempli d'une composition complexe que personne ne pouvait nier. Ses paroles n'ont fait qu'accentuer les notes. La chanson a ensuite ralenti et s'est terminée sur une note aiguë, représentant son espoir d'un avenir meilleur.

Il y a eu un silence pendant une seconde, puis des applaudissements retentissants et un standing ovation. Les yeux de Shahnaz se sont mis à pleurer lorsqu'elle s'est tournée vers sa famille. Sarah et Fred étaient là, les yeux brillants, la regardant avec admiration. Elle s'inclina, prononça les mots "merci" et quitta la scène.

Du coin de l'œil, Shahnaz aperçut M. Brooks, lui aussi debout et en train d'applaudir. Malheureusement, il y avait encore une légère rancœur dans son expression.

***

"Je déteste que tu n'aies pas gagné", a presque grogné Olivia, une camarade de classe. Elles étaient réunies en classe quelques jours après la représentation. Tous les camarades de Shahnaz voulaient lui parler. Toutes sauf Paula, assise dans un coin, qui se concentrait sur ses partitions.

"Je sais, mais la gagnante était bien meilleure", dit Shahnaz en haussant les épaules.

"Oui", acquiesça Fred. "Mais il a déjà une bourse pour Julliard. Cela semble injuste."

"Tout le monde avait le droit de concourir", a ajouté une autre personne.

"La deuxième place, c'est quand même génial ! Et les gens connaissent ton nom maintenant !", ajouta Fred, et tout le monde était d'accord.

M. Brooks entra, les interrompant. Paula a commencé à déplacer sa chaise vers le centre de la classe. Mais Shahnaz a regardé Fred, assis à côté d'elle, et l'a vu sortir son téléphone. Ils étaient tous censés le mettre en mode silencieux avant le cours.

"Bonjour à tous ", commença leur professeur en soupirant. "Shahnaz, félicitations. Tu t'es très bien débrouillée."

"Merci, M. Brooks", dit-elle, ravie qu'il ait essayé de prononcer son nom correctement. La mâchoire de Paula s'était décrochée devant le rare compliment de leur professeur à l'égard de Shahnaz.

"OK, commençons", dit M. Brooks en frappant dans ses mains.

"Attendez !", interrompit Fred, qui courut vers la radio de la classe. Il l'alluma et la chanson de Shahnaz commença à résonner, les choquant tous.

Elle sourit, un peu gênée. Ce n'était pas la première fois qu'elle l'entendait.

Après la représentation, Sarah avait eu l'idée de télécharger son enregistrement sur des diffuseurs de musique, et Fred l'avait envoyé à des stations de radio.

"Sarah vient de m'envoyer un texto", dit Fred en s'asseyant à côté de Shahnaz. "Elle m'a dit que c'était diffusé."

Toute la classe sourit en écoutant la chanson. "C'est incroyable ! Tu pourras sauter de l'école de musique et devenir immédiatement une artiste !", dit quelqu'un.

"Elle devrait quand même aller à l'école", a déclaré quelqu'un d'autre, qui n'était pas d'accord. "Elle s'améliorera tellement."

D'autres commentaires ont fusé, mais Shahnaz était heureuse que les gens aient aimé sa chanson. Mais elle a été ravie lorsque M. Brooks a commencé à tapoter du pied et à bouger la tête au rythme de la mélodie. Elle ne savait pas s'il était conscient de ce mouvement.

Un petit progrès ! se réjouit Shahnaz avant que quelqu'un d'autre ne décide d'interrompre ce moment agréable.

"On peut éteindre ça ?", demanda Paula d'un air narquois. "Ma mère n'a pas dépensé des centaines d'euros dans cette école pour que nous perdions notre temps à écouter la radio."

Le silence règna pendant une seconde avant que M. Brooks ne prenne la parole. "Oui, commençons", acquiesça-t-il en se dirigeant vers la radio et en l'éteignant.

Il y a eu quelques rires dans la classe. Certains enfants ont regardé Shahnaz pour lui faire comprendre que Paula était simplement jalouse. Mais leur professeur a commencé à parler et ils se sont tous concentrés.

Quelques heures plus tard, Shahnaz était dehors, attendant que sa mère vienne la chercher, quand Fred a couru derrière elle. "Hé ! Je suis content de t'avoir rattrapée ", dit-il, un instant essoufflé.

"Ma mère est en retard", a-t-elle répondu en haussant les épaules.

"Cool", acquiesça-t-il en se raclant la gorge. "Je me demandais si tu aimerais voir un film d'horreur avec moi."

Shahnaz est stupéfaite. "Un film ? Comme un rendez-vous ?"

La joue de Fred s'est colorée, mais il a redressé les épaules et a hoché la tête avec force. "Oui, comme un rendez-vous. Je t'aime bien, Shahnaz."

La jeune pianiste ne put empêcher le sourire qui se dessina lentement sur son visage. Fred était l'élève le plus populaire de l'académie de musique, mais elle savait qu'il l'était aussi dans son école. Il était beau comme un Américain. Elle n'aurait jamais imaginé ce moment en un million d'années.

"Oui", dit Shahnaz en grinçant. Ils se regardèrent en silence pendant quelques secondes. Ce n'était pas gênant. C'était comme s'ils étaient censés faire quelque chose, mais qu'aucun d'eux ne savait quoi. Fred s'approcha soudain d'un pas, ce qui fit écarquiller les yeux de la jeune fille.

Mais le klaxon de la voiture de Roya retentit. "Shahnaz !", s'écria sa mère en baissant la vitre du côté passager. "Monte vite ! Nous devons aller chercher Amir au base-ball !"

"Désolée", chuchota Shahnaz, qui sait que sa mère s'est interrompue un instant.

"Pas de souci", dit Fred en se raclant à nouveau la gorge. "Je t'enverrai un message plus tard."

"Bien sûr", dit-elle en souriant et en se dirigeant vers la voiture, en se retournant plusieurs fois. Elle salua Fred et remarqua finalement Paula à l'entrée, les regardant comme si son monde venait de s'écrouler. Lorsque leurs regards se croisèrent, l'autre talentueuse pianiste afficha une mine haineuse.

Shahnaz chassa cette horrible expression de son esprit tandis que sa mère parlait de tous les éloges qu'elle avait reçus des autres familles persanes de la ville à propos de son spectacle. "Ils ont tous entendu ta chanson à la radio", ajouta joyeusement Roya. "Ton père l'a passée toute la journée pour que tout le monde l'écoute..."

Ce soir-là, Fred a envoyé un message comme promis, et elle s'est couchée tard en lui envoyant un message. Au cours de la semaine suivante, ils s'envoyèrent des fichiers audio et des mèmes. Ils sont allés au cinéma un dimanche, et il a demandé à Shahnaz d'être sa petite amie officielle à la sortie de la salle.

Ils se sont vus autant que possible au cours des jours suivants, et leur premier baiser a eu lieu à l'académie de musique. Shahnaz était sortie faire une pause parce que M. Brooks ne cessait de parler d'un sujet qu'ils connaissaient tous déjà. Elle se rinçait les mains avec une serviette en papier en sortant de la salle de bains lorsque la main de Fred lui a attrapé le bras et l'a entraînée dans une salle de répétition vide.

Ils s'assirent au piano et commencèrent à jouer ensemble. C'était un son heureux et joyeux, mais les doigts de Fred l'ont bientôt saisie et elles se sont tournées l'une vers l'autre en même temps. Cette étrange charge était de nouveau dans l'air.

Et elle ne pouvait qu'entendre les battements de son cœur à mesure que le visage de Fred se rapprochait. Elle n'oublierait jamais ce moment aussi longtemps qu'elle vivrait. Parce que toutes les chansons d'amour du monde avaient enfin un sens. Il était stupide de s'inspirer d'une autre émotion quand l'amour se sentait ainsi.

Ils se séparèrent bien trop tôt, et Shahnaz sauta du siège du piano. "Allons-y ! Avant d'avoir des ennuis", dit-elle en se moquant, attrapant la main de Fred pendant qu'il riait.

Elle plissa les yeux pendant une seconde alors qu'ils se redressaient et se dirigeaient vers la porte. Une touffe de cheveux s'était apparemment envolée, mais il n'y avait personne à l'extérieur. Ils se séparèrent, et Shahnaz se rendit d'abord en classe tandis que Fred entra quelques minutes plus tard pour ne pas éveiller les soupçons de qui que ce soit.

Le lendemain, à l'académie, fut différent de tous les autres jours, après qu'elle eut remporté la deuxième place au spectacle. Les gens regardaient Shahnaz bizarrement, mais lorsqu'elle croisait leur regard, ils détournaient les yeux.

Les filles chuchotaient à l'oreille les unes des autres, et elle connaissait clairement ce geste. Elles faisaient des commérages sur elle. C'est étrange, pensa-t-elle en se dirigeant vers sa salle de classe. Il ne s'était rien passé de particulièrement excitant depuis un moment, à part son baiser avec Fred.

Elle s'inquiétait à l'idée de présenter Fred à sa famille et de savoir ce qu'ils penseraient du fait qu'elle sorte avec un Américain, mais maintenant, ses préoccupations étaient ailleurs. Shahnaz vit des yeux s'écarquiller à son entrée avant de détourner rapidement le regard.

"Bonjour, Olivia", dit-elle après s'être assise.

"Salut", a répondu sa camarade de classe avec un sourire hésitant.

Le téléphone de Shahnaz a émis un bip avant qu'elle ne puisse dire quoi que ce soit d'autre à Olivia. C'était un message de Fred : je ne peux pas y aller aujourd'hui. Mon frère a un grand match et je dois l'encourager. Tu me manques."

Elle tapa rapidement une réponse et s'installa. M. Brooks est entré et a commencé son cours immédiatement, ce qui était bienvenu, car cela lui permettait de se libérer de ses soucis tout en se concentrant purement sur la musique et l'apprentissage de nouvelles choses.

Mais de temps en temps, elle aperçut certains de ses camarades de classe qui la regardaient en arrière. Certains se passaient des notes entre eux, et bientôt, ses yeux croisèrent ceux de Paula. Son visage se tordit en un sourire complice, mais elle se retourna rapidement.

Quelque chose ne tournait pas rond. Shahnaz le savait, mais n'avait aucune idée de la façon d'aborder le sujet. À la fin du cours, elle est sortie de la salle, bien décidée à retrouver Olivia.

"Olivia !", cria-t-elle, mais ses camarades de classe la virent et sortirent presque en courant. Elle était à mi-chemin dans la rue avant que Shahnaz ne puisse la rejoindre.

Pourquoi m'évite-t-elle ?

Ses yeux balayèrent l'endroit, et Shahnaz réalisa avec horreur que tout le monde essayait d'éviter son regard. Mais ils avaient tous le même regard, comme s'ils savaient quelque chose qu'elle ignorait.

Sa mère n'était pas encore arrivée, alors elle a attrapé son téléphone pour envoyer un message à Fred. As-tu eu des nouvelles de quelqu'un en classe ?"

Non. Pourquoi ?, lui répondit Fred par texto.

Rien, je suppose. Mais Olivia vient de s'enfuir et les gens font des ragots sur moi. Est-ce qu'il est arrivé quelque chose à ma chanson ?

Je ne sais pas. Je demanderai. Désolé de ne pas avoir pu être là. Je ne te laisserai pas seule demain ! promet Fred, ce qui rassura Shahnaz.

Enfin, la berline de sa mère apparut, et elle lui fit à nouveau signe en criant de se dépêcher. Elle était contente de cette constante dans sa vie. Roya avait tendance à être en retard de quelques minutes à presque tout.

Le lendemain, Shahnaz se rendit en toute hâte à son école de musique. Mais cette fois, son retard n'avait rien à voir avec sa mère. Un examen à l'école avait dépassé la dernière sonnerie, et sa mère avait couru dans les rues pour l'y amener rapidement.

Mais Fred l'attendait juste devant les doubles portes de l'académie, et il avait le visage foudroyant. Elle a cru qu'il lui en voulait pendant une seconde, mais ses épaules se sont détendues lorsqu'il l'a vue. Son visage se décomposa en un sourire prudent tandis qu'il trottinait jusqu'à elle.

"Qu'est-ce qui se passe ? Mon examen de physique a pris du retard", expliqua Shahnaz. "Pourquoi es-tu dehors ?"

"Il faut qu'on parle."

Elle s'est arrêtée. Ces mots étaient inquiétants et dangereux. "Pourquoi ?"

"Tu ne sais vraiment pas de quoi tout le monde parlait hier ?", demanda-t-il en fronçant les sourcils.

L'accusait-il de quelque chose ? "Freddie, je ne sais pas. Je suis désolée. Je suppose qu'ils font des commérages sur moi. Mais je ne sais pas exactement parce qu'Olivia m'a fui et que les autres ne m'ont pas regardée", a répondu Shahnaz, confuse.

"Ils parlent de nous."

"Oh."

"Oui."

"Ce n'est pas comme si nous étions un secret", a haussé les épaules Shahnaz. "On s'est déjà tenu la main. Je pensais même t'inviter chez moi pour rencontrer mes parents..."

"Ce n'est pas ça", l'interrompit Fred en secouant la tête et en ébouriffant ses cheveux. "Tout le monde pense que nous... étions ensemble dans la salle d'entraînement."

Shahnaz a réfléchi pendant une seconde. "Ils nous ont vus nous embrasser ?", demanda-t-elle, horrifiée. "Ils doivent savoir que nous sommes ensemble. On s'est déjà tenu la main au grand jour."

"Non", a ajouté Fred. "Je veux dire, oui. Ils doivent savoir, mais je pense que quelqu'un nous a spécifiquement vus nous embrasser. Mais Shaz, ils ne parlent pas de nous en train de nous embrasser."

Ses sourcils se froncèrent. "Alors, quoi ?"

Les yeux de Fred s'écarquillèrent et il commença à faire des gestes étranges comme s'il voulait qu'elle comprenne sans qu'il ne prononce les mots.

"NON ! Quoi ? Pas question !", s'exclama-t-elle. "Qui dirait ça ?"

Fred soupira. "Je pense que c'était Paula. J'ai cru voir quelqu'un à la porte quand on s'est embrassés, mais je n'ai pas fait attention."

"Pourquoi mentirait-elle ? Je suppose qu'on ne peut pas l'empêcher de dire aux gens qu'on s'est embrassés, mais pourquoi mentirait-elle ?", s'interrogea Shahnaz, à nouveau confuse.

"Je sais qu'elle déteste que tu aies été sélectionnée et que tu aies gagné la deuxième place", dit Fred en haussant les épaules. "Mais je ne pensais pas qu'elle serait aussi détestable. Je suis vraiment désolé."

" Ce n'est pas de ta faute ", a-t-elle marmonné. "Freddie, si mes parents apprennent ça..." Shahnaz déglutit, effrayée.

"Je sais. Mais ça n'arrivera pas", a-t-il commencé en lui attrapant la main. "Je ne laisserai pas cela se produire. Ces ragots cesseront. Je le jure."

Shahnaz avait envie de pleurer, mais elle ne voulait pas avoir les yeux rouges et le visage bouffi pour ses cours. Paula aurait eu trop de satisfaction, alors elle a tenu ses émotions à distance et a attrapé la main de Fred. "Allons en cours", dit-elle courageusement, ce qui le fit sourire.

Ils sont entrés dans la salle d'entraînement les mains jointes, ce qui n'a fait qu'inciter d'autres personnes à commencer à chuchoter. Shahnaz regarda à nouveau le sourire haineux de Paula et sut que Fred avait raison. C'est elle qui avait lancé les rumeurs.

Quelques heures plus tard, Fred lui a dit au revoir en lui promettant que tout irait bien, et Shahnaz est montée dans la voiture de sa mère.

"Oh, c'est le garçon qui était assis avec nous au concours ?", se demanda Roya, en plissant les yeux pour voir la silhouette de Fred monter dans le gros 4x4 de sa mère. "Comment s'appelle-t-il ? Il était sympa."

"Fred, et oui, il est gentil", a répondu Shahnaz. "C'est mon petit ami, maman."

"Quoi ?" Roya a serré le frein, les propulsant trop brutalement vers l'avant.

"Oui, maman", a poursuivi l'adolescente. "J'allais demander s'il pouvait officiellement venir à la maison samedi pour vous rencontrer toi et papa."

"D'accord. Ce n'est pas grave", commença Roya en hochant la tête. "Nous sommes en Amérique. Nous savions que vous vous comporteriez comme ces adolescents. Je vais lui préparer quelque chose de bon. Le préféré de ton père. Il a besoin d'être distrait."

"Maman," interrompit Shahnaz. "Je te remercie pour cela. Mais j'ai quelque chose à te dire."

"Oh, non ! Tu n'es pas enceinte quand même ?"

"Non ! Maman !"

Roya se toucha la poitrine mais sursauta lorsque la voiture derrière elles klaxonna. La femme plus âgée a mis la voiture en marche et s'est mise en route pour aller chercher Amir.

"Maman, une fille a lancé une mauvaise rumeur à mon sujet", a commencé Shahnaz avant de passer au farsi pour que Roya comprenne mieux. "Elle a menti à tout le monde en disant qu'elle nous avait vus, Fred et moi, en train de faire des trucs. Ce n'était pas le cas. Elle nous a vus nous embrasser, mais maintenant que l'académie pense que nous avons fait des trucs dans une salle d'entraînement. Je ne sais pas quoi faire."

"Elle a menti ?", demanda Roya à voix basse.

"Oui. Les ragots. Tout le monde fait des ragots sur nous", a poursuivi l'adolescente, les larmes gonflant ses yeux. "Je ne sais pas pourquoi elle a fait ça. Fred a dit qu'elle était jalouse. Mais on la félicite tout le temps. Elle a du talent."

"Shahnaz", dit Roya en saisissant fermement la main de sa fille tout en gardant les yeux sur la route. "Ce n'est pas de ta faute. Fred a raison. Elle est jalouse de toi, alors elle a dû colporter des ragots pour t'enlever ta réussite. Tu ne dois pas la laisser faire. Tu dois t'élever au-dessus d'elle. Ignore-la. Dis la vérité à tes amis proches et passe à autre chose."

"Est-ce que ça marchera ?"

"Certaines personnes ne te croiront peut-être pas", a répondu sa mère. "Mais tu as la vérité de ton côté. C'est tout ce qui compte. Je parie qu'elle est aussi en colère contre ce garçon. J'ai vu comment les autres filles le regardaient. Comme Brad Pitt."

Shahnaz éclata de rire, ce qui fait sourire Roya. "Ne t'inquiète pas pour des ragots idiots, ma chérie. Tu dois t'inquiéter de dire à ton père que tu as un petit ami. Amir ne va pas être content non plus."

"D'accord", souffla-t-elle en essuyant ses larmes. Les paroles de sa mère étaient plus que suffisantes pour qu'elle se sente mieux, alors elle chassa Paula et sa haine de son esprit.

Lorsqu'elle retourna à l'académie le lendemain, Fred traînait avec Olivia et les autres enfants, qui se précipitèrent tous vers Shahnaz lorsqu'elle sortit de la voiture.

"Shahnaz ! Je suis désolée !", dit Olivia, tandis que d'autres lui font écho.

Fred lui a jeté un regard complice et s'est approché d'elle en lui prenant la main. "J'ai dit la vérité à tout le monde."

"Nous savions tous que Paula était jalouse. Mais c'est tout simplement désespérant", a commenté une autre camarade de classe.

Shahnaz fronça les sourcils. "Elle va encore être très en colère", soupira-t-elle.

"Ne pense pas à elle. Ça n'en vaut pas la peine", dit Fred en la tirant plus près de lui. Ils ont tous commencé à marcher à l'intérieur. Les gens ne chuchotaient plus. Ils ont tous donné à Shahnaz un sourire timide et ont vaqué à leurs occupations, ce qui signifiait que Fred avait parlé à tout le monde.

Paula était dans un coin de la classe, en train de bouder, tandis que tout le monde la laissait de côté.

"Je me sens mal", chuchota Shahnaz à Fred.

"Ne le fais pas", dit-il en secouant la tête. "Elle ne le mérite pas."

Shahnaz a haussé les épaules, ne se sentant pas de gaieté de cœur face à l'aura morose qui entourait Paula. Mais M. Brooks est entré.

Le professeur s'est raclé la gorge et a fait une pause, ce qu'il n'avait jamais fait avant le cours. On aurait presque dit qu'il était nerveux.

"Tout le monde, j'ai appris que certaines rumeurs circulaient", commença-t-il, faisant blêmir Shahnaz. Oh, non !

Fred resserra sa prise sur sa main.

"Je sais aussi très bien que ces rumeurs ne sont pas vraies et qui les a lancées et pourquoi", poursuivit Mr Brooks, sans regarder personne en particulier. "La musique est l'un des métiers les plus compétitifs au monde. Si vous voulez que ce soit votre avenir, vous devrez apprendre que parfois vous gagnez, mais que la plupart du temps, vous perdez."

Tous les élèves de la classe ont commencé à regarder autour d'eux. Ils savaient tous ce qu'il était en train de dire.

"Dans ces situations, essayer de faire tomber les gagnants est tentant. D'une manière ou d'une autre. Moi-même, je l'ai fait. La jalousie est une émotion sale et laide. Il est difficile de s'en débarrasser. Mais je suis ici pour vous dire que rien de ce que vous faites ne peut enlever à un gagnant son talent ou ce qu'il a dans le cœur", poursuivit M. Brooks. "Vous ne pouvez pas éteindre leurs lumières, peu importe à quel point vous l'essayez."

Le professeur de piano a fixé Shahnaz droit dans les yeux, se remémorant ses paroles au début de sa prestation.

"C'est une leçon que j'apprends tous les jours, et même en tant qu'adulte, c'est encore difficile", poursuivit-il. "Je vous suggère de vous concentrer uniquement sur votre musique. Votre talent. Améliorez-vous. Jouez jusqu'à ce que vos doigts saignent pour que la prochaine fois, vous gagniez, ou que vous vous sentiez comme un gagnant. L'amertume et la jalousie ne feront pas de vous une star, un meilleur joueur, et ne vous permettront pas d'entrer dans un programme musical universitaire.

Pendant une seconde, les yeux de M. Brooks se sont posés sur Paula, qui fixait strictement le sol.

"J'ai dit ce que j'avais à dire", poursuivit le professeur. "Commençons."

L'aura de la pièce s'est éclaircie, et Fred s'est tourné vers Shahnaz en haussant les sourcils. "Wow", dit-il.

"Je sais", dit-elle en retour. M. Brooks l'avait secrètement et subtilement défendue contre l'une de ses élèves préférées.

Je suppose qu'il n'est pas si mauvais que ça, pensa Shahnaz. Ce n'est qu'un musicien.

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